Alcool, vive l’abstinence !

La banalisation de l’alcoolisation est parfois mise à l’honneur dans des émissions.
C’est pourtant de l’effet bénéfique d’une consommation modérée d’alcool que je voudrais vous parler.

Le paradoxe français et l’effet bénéfique de cette consommation “modérée” d’alcool sont remis en question, dans une étude qui vient d’être publiée par des chercheurs de l’Université de Victoria , en Colombie Britannique (Canada).
En effet, la mortalité “toutes causes” ne serait pas réduite chez les consommateurs modérés d’alcool (par rapport à des consommateurs excessifs).

Je détaillerai les résultats de cette étude, après avoir rappelé ce qu’est la consommation modérée d’alcool, ce “french paradox” et la mortalité liée à l’alcool (courbe en J).

Femme sur son lit tenant un verre d'alcool

On devrait mieux utiliser le terme de consommation “à moindre risque”, car il n’existe pas de consommation d’alcool “sans risque” (comme le rappelle l’Institut national du cancer (INCA)).

Il n’existe donc pas de seuil de consommation qui permettrait à coup sûr de limiter les risques pour la santé tout au long de la vie.

Toutefois, un avis d’experts de Santé publique France et de l’Institut national du cancer a tenté de définir des risques acceptables et propose une valeur repère unique aussi bien pour les hommes que pour les femmes exprimée sous la forme d’un nombre de verres d’alcool standard (Santé Publique France, 2019).

Chez l’adulte, cette valeur repère est de 10 verres d’alcool standard par semaine, maximum, sans dépasser 2 verres standard par jour.

Ces mêmes experts recommandent d’avoir des jours dans la semaine sans consommation et, pour chaque occasion de consommation, de :

  • réduire la quantité totale d’alcool bue à chaque occasion,
  • boire lentement, en mangeant et en alternant avec de l’eau,
  • éviter les lieux et les activités à risque de consommation excessive d’alcool,
  • s’assurer d’être entouré de personnes de confiance et de pouvoir rentrer chez soi  en toute sécurité après avoir consommé de l’alcool.

Mais il est ainsi fortement recommandé de ne pas consommer d’alcool dans les situations suivantes :

  • pendant toute la durée de la grossesse et de l’allaitement,
  • pendant l’enfance, l’adolescence et toute la période de croissance,
  • quand on conduit un véhicule ou une machine,
  • quand on exerce une activité qui nécessite de la vigilance,
  • quand on prend certains médicaments (voir la notice),
  • dans certaines maladies aiguës ou chroniques (hépatite, pancréatite, épilepsie, etc.).

Et il n’est donc pas nécessaire ou indispensable d’atteindre ces seuils pour que le bénéfice soit observé.

3 personnes trinquant avec 3 verres d'alcool blanc

En 1992, Serge Renaud et Michel de Lorgeril (confère et ami grenoblois) nous présentaient dans le Lancet ce “french paradox” : une consommation journalière de 20 à 30 grammes d’éthanol (2 à 3 verres standards) peut réduire le risque de maladie cardio-vasculaire de 40%.

L’explication qu’ils donnaient alors était une baisse de la réactivité des plaquettes, une diminution de leur agrégation.
Ils pointaient aussi l’importance de l’alimentation et plus particulièrement du régime méditerranéen (pain, fruits et légumes, fromage et vin).
Plusieurs autres hypothèses ont cependant été suggérées pour expliquer ce phénomène :

  • plus faible consommation de lactose,
  • moindre consommation d’acides gras trans),
  • et surtout – à mon avis – un niveau de développement socio-économique différent et des modes de vie moins stressés.

En 2015, suite à la publication d’un article de Juillières et al. (La Presse Médicale, 2014 ) recommandant de boire 1 à 2 verres (10 à 20 grammes d’alcool) par jour, Alain Braillon et Gérard Dubois répondirent dans la Presse Médicale  “le vin : bon pour la santé… des producteurs, et seulement eux !”.
Je cite : “La recommandation « 1 à 2 verres par jour est médicalement dangereuse. Si des doses faibles ou modérées d’alcool ont un effet protecteur coronaire, celui-ci ne serait que très faible et faudrait-il encore être exposé au risque, ce qui n’est pas le cas des jeunes et des femmes avant 50 ans ».

homme sur son canapé refusant de boire une bière alcoolisée

En France, on dénombre 41 000 décès attribuables à l’alcool (Dossier « Alcool et Santé », Inserm, 2021)  chaque année : 30 000 hommes (soit 11% des décès attribuables à l’alcool) et 11 000 femmes (soit 4% des décès attribuables à l’alcool).

Les causes sont multiples :

  • cancers (foie, colon-rectum, sein, VADS),
  • maladies cardio-vasculaires,
  • cirrhose du foie,
  • pancréatite,
  • diabète,
  • épilepsie,
  • accidents et suicides…

Pour les cancers et l’épilepsie, pour la cirrhose du foie et la pancréatite, ainsi que pour de nombreuses maladies cardio-vasculaires, il existe un effet-dose dès le premier verre d’alcool.

Cependant, on décrit une courbe en J pour les décès par AVC ischémiques et par cardiopathies ischémiques : le risque relatif de décès est moins élevé chez les buveurs “modérés” d’alcool que chez les abstinents et les buveurs “excessifs”. Il s’agit d’une approche globale concernant une population donnée, et non un risque pour un individu donné, qui présente ou non d’autres facteurs de risque et/ou de protection.

verre de vin blanc

De nombreuses études se sont intéressées au type de boisson, et de l’incidence éventuelle sur la mortalité cardio-vasculaire : rien de probant, quant à des différences et vin et bière, par exemple. Et il faudrait tenir compte des sujets qui consomment (ou ont consommé) plusieurs types de boissons alcooliques.

De même, on retrouve cette courbe en J pour la survenue d’un infarctus du myocarde.

Ainsi, cela a fait et continue à faire la promotion de l’alcool, et du vin en particulier : « le vin, c’est bon pour le cœur » peut-on lire, entendre ici et là.

La méta-analyse canadienne est claire et objective : pas d’effet bénéfique des consommations modérées

Tim Stockwell et Kaye M. Fillmore avaient publié une première méta-analyse en 2006 , en portant l’attention sur le groupe de référence, celui des abstinents. En effet, bien souvent, les anciens buveurs ainsi que ceux qui consomment de l’alcool occasionnellement étaient inclus dans ce groupe de référence et considérés comme abstinents.

Dans cette nouvelle méta-analyse, publiée dans le Journal of Studies on Alcohol ans Drugs en mars 2016, 87 études ont été conservées sur les 240 retenues initialement, afin d’étudier l’association entre la consommation d’alcool et le risque de décès « toutes causes ».

Les buveurs modérés (1,3 à 24,9 grammes d’alcool par jour) perdent tout avantage de santé par rapport aux abstinents : le risque relatif (0,97) est non significativement différent de 1. Seuls ceux qui boivent moins de 1,3 grammes d’alcool par jour (soit 1 verre tous les 10 jours) ont un risque relatif réduit de 16% par rapport aux abstinents.

Autre résultat important à souligner : la courbe en J n’est pas retrouvée, lorsqu’on prend en compte les faux-abstinents et les facteurs de confusion (âge, sexe, tabagisme, nombre d’années de suivi).

Ainsi, une consommation même modérée d’alcool ne diminue pas le risque de mortalité « toutes causes ».

Début avril 2019, un nouveau clou a été planté dans le cercueil des effets bénéfiques d’une consommation modérée d’alcool sur la mortalité, avec la publication d’une étude prospective chinoise d’ampleur (Millwood et al., 2019) .
Cette dernière a suivi, pendant près de 10 ans, l’évolution de la santé de 512 715 adultes vivant dans 10 régions de Chine, en prenant en compte leur consommation d’alcool et d’autres caractéristiques. Les résultats révèlent que la tension artérielle et le risque d’accident vasculaire cérébral augmentent de concert avec l’augmentation de la consommation d’alcool. Pour les AVC et les hémorragies intracérébrales, la consommation moyenne d’alcool est associée au risque de maladie de manière continue (Arvers, 2019) .

Donc, pas de « french paradox », pas d’effet bénéfique des faibles doses d’alcool.

panneau blanc aux contours rouge avec une bouteille d'alcool et un verre barrés

Alors, pourquoi ne pas consommer d’alcool pendant un mois ? Ce concept, testé et validé au Royaume-Uni entre 2012 et 2016 (Stoptober)  a été exporté en France, en raison des bénéfices observés.

Le Dr Richard de Visser, psychologue à l’université du Sussex, avait mené une enquête auprès de 2.800 personnes inscrites à l’édition du Dry January, dont 800 ont été suivies pendant 6 mois. Ses conclusions, publiées dans le British Medical Journal  indiquaient qu’un mois sans alcool permet de réduire significativement la tension artérielle, le taux de cholestérol et le risque de diabète.

Et du côté des challengers, à l’issue de ce défi voilà ce qu’ils constataient :

  • 67 % des participants estimaient avoir gagné en énergie ;
  • 57 % en concentration ;
  • 71% avaient amélioré leur sommeil ;
  • 58% avaient perdu du poids ;
  • 54 % avaient amélioré la qualité de leur peau ;
  • 88 % avaient économisé de l’argent ;
  • 93 % des personnes interrogées se sentaient mieux dans leur peau ;
  • 80 % avaient le sentiment d’avoir repris le contrôle de leur consommation d’alcool ;
  • … et 71 % avaient compris qu’elles n’avaient pas besoin de boire pour s’amuser !

L’étude a permis de relever qu’après cette pause d’alcool, le rythme de consommation était passé de 3,4 unités d’alcool à 2,1 unités par semaine.

En France, c’est le Janvier Sec (Dry January)  ou « Défi de janvier » qui a été proposé en 2019, avec le désengagement du gouvernement en novembre.

Ce sont donc 30 associations et organisations qui ont porté le projet et lancé la première édition en 2020.
En 2022, plusieurs villes comme Lyon, Grenoble, Nantes ou Toulouse apportent leur soutien à cette campagne.

Elle s’adresse à celles et ceux qui souhaitent faire un break (bénéfique), mais qui ne présentent pas de signe de dépendance physique à l’alcool, bien-sûr.

Pourquoi pas vous ?

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